Médiathèque Mâcon, juin 2014
Cette exposition des élèves du collège Schuman est l'aboutissement d'un projet annuel lors duquel ils ont été conduits à s'interroger sur les questions de notre rapport à l'Histoire, du fait mémoriel, de la puissance et des limites du langage.
"À l'ère de tous les révisionnismes, à l'ère de tous les négationnismes, au moment même où, au sein de notre société affaiblie et en perte de repère, la parole se « libère » pour ne servir que l'abject, il est indispensable, et salvateur, d'interroger notre langue, nos mots, et au delà, d'aborder la question fondamentale de l'altérité.
Quelle est la puissance du mot ? Que peut-il produire ? Qu'engendre-t-il dans nos rapports mutuels ? Est-il un ciment qui façonne et nous lie, ou le poison qui s'insinue, et nous désagrège ?
Peut-il servir l'oubli, ou est-il un « accroche-mémoire » nous ramenant incessamment à l'élémentaire et troublante étrangeté de nos vies ?
Lorsque Christelle Voisin m'évoqua son projet, et m'invita à y participer, je fus particulièrement touché par l'exigence du propos : placer de jeunes gens dans un espace de réflexion autour des limites du langage, et de l'indicible. Dans ce cadre, parmi les différents champs d'investigation, j'allais avoir l'honneur d' intervenir dans la relation particulière qu'entretient le langage avec l'image peinte. Tentant de susciter, documents à l'appui, une curiosité quant aux éléments de langage « invités » dans le champ pictural depuis des siècles, j'ai cherché à ce que chacune, chacun, puissent investir l'espace d'une toile, en utilisant des mots, et les moyens plastiques les plus divers.
La question picturale se situe dans le champ de l'innommable; le verbal cherchera à nommer, alors que la peinture ne peut être, n'a lieu d'être, que dans l'indicible. Elle est ce qui, par essence, échappe aux mots, un manque, une absence saturée de sens effleurant le réel. L'inviter à ses propres noces avec le mot, c'est restaurer et amplifier un paradoxe dont l'intensité questionnera nos perceptions, parce qu'il est le point d'ambigüité indispensable, nœud de données sensibles où convergent nos flux de rêves et d'espérance.
Des mots imprégnés de picturalité, des territoires colorés traversés par des éléments de langage, nous pourrions avoir LÀ, nous l'avons, un lieu d'expériences unique où, nous, humains, nous nous offrons la possibilité de revenir à cette acuité première, perdue dans l'enivrement du futile, désamorcée sous la séduction du néant, qui ressurgit pour réveiller nos désirs de beauté et nos exigences morales.
Baudelaire écrivait qu'il fallait regarder les choses en « nouveautés », les contempler en enfance, c'est-à-dire avec un regard qui se situe AVANT le langage, celui où l'on ne peut que se situer dans l'imagination ( puisque l'enfant ne dit rien ).
C'est le langage du réel, avant que le réel ne devienne un monde organisé, asservi par les mots.
Il nous faudrait tous retrouver et préserver ce temps et ce regard de l'enfance, où tout se fonde à la lumière, loin des ombres de la barbarie.
Les mots et la peinture, les mots dans la peinture, c'est la possibilité de ramener le langage dans notre infini intérieur, le déshabiller de sa propre finitude. Là, dans l'incertitude fertile, dans l'indispensable hésitation de la vie, nous pouvons retrouver le sens de nos liens aux autres, comme le paradigme d'une dignité à conquérir sans cesse. Par leur engagement, les jeunes personnes qui ont œuvrer nous ont montrer la voie.
Je reste profondément ému par la diversité et l'étonnante qualité des œuvres réalisées; je présente mes plus respectueux remerciements à tous ces créateurs, à Christelle, leur si exigeante et pertinente professeur de langue, à Damien, professeur d'arts plastiques qui les a patiemment accompagnés dans leur démarche, et à tous ceux qui ont permis qu'un tel projet si exemplaire puisse exister et se développer."
Frédéric Diart